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Lundi 17 octobre. — Toute la journée le bruit tonnant du Mont-Valérien, l’écho roulant et prolongé de la canonnière dans les coteaux de Sèvres et de Meudon, l’ébranlant claquement de la batterie Mortemart.

Mardi 18 octobre. — La canonnade m’attire au bois de Boulogne, à la batterie Mortemart. Il y a quelque chose de solennel dans la gravité sérieuse et la lenteur réfléchie, avec lesquelles les hommes chargés du service d’une pièce, exécutent les opérations de la charge. Enfin le coup est chargé ; les artilleurs se tiennent immobiles de chaque côté, quelques-uns, appuyés en de beaux mouvements sculpturaux sur les palans, avec lesquels ils ont recalé la pièce. Un artilleur en manches de chemise, placé à droite, tient la ficelle.

Quelques instants d’immobilité, de silence, je dirai presque d’émotion ; puis, sous le tirage de la ficelle, un tonnerre, une flamme, un nuage de fumée, dans lequel disparaît le bouquet d’arbres qui masque la batterie. Longtemps un nuage tout blanc, qui a peine à se dissiper, et qui fait ressortir le jaune de l’embrasure de sable, fouettée par le coup, le gris des sacs de terre, dont deux ou trois sont éventrés par le recul de côté de la pièce, le rouge du bonnet des artilleurs, le blanc même de la chemise de celui qui a tiré la ficelle.

Cette chose qui tue au loin, est un vrai spectacle