Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/100

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En revenant, les vêpres sonnent à Boulogne, et le tintement de la cloche se tait, à toute minute, sous la voix tonnante du Mont-Valérien.

J’entre dans l’église, et je vois dans une chapelle, une réunion de capotes grises, dont quelques-uns de ceux qui les portent, ont à la main un pauvre petit livre de prières, au cartonnage des classiques de Delalain. Au milieu d’eux, un jeune soldat de ligne touche de l’orgue mélodium, ayant près de lui un camarade au pantalon garance, accoudé au buffet et penché sur la musique. De ce groupe, qui vous fait revenir dans les yeux la lithographie de Lemud : Maître Wolframb, et transfigure ce groupe vulgaire de pioupious, s’élève une musique douce et pénétrante, et qui, dans l’ébranlement des nerfs par le canon et le voisinage de la mort, apporte je ne sais quelle grande émotion triste. Et quand je sors, les voix de ces morituri chantant dans le chœur, me poursuivent au milieu des « nom de Dieu » de leurs camarades, sur la place.

Je suis curieux de reconnaître les endroits de nos tristes promenades de tout le printemps dernier. La mare d’Auteuil a son petit monticule défoncé par les charrettes, et ses ombrages gisent dans une eau souillée. J’espérais qu’on aurait épargné les trois chênes centenaires : où ils se dressaient, coupés au ras de terre, sont leurs chicots gigantesques, et autour d’eux s’élève un chantier de bûches, que n’aurait pas brûlé, pendant tout un hiver sibérien, la cheminée d’un burgrave.