Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/233

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nent, dans leurs bras, des pains de quatre livres, ces beaux pains blancs, dont Paris a été privé si longtemps.

Ce soir, chez Brébant, la conversation abandonne la politique pour aller à l’art, et Renan part de là, pour trouver la place Saint-Marc une horreur. Comme Gautier, et nous tous, nous nous récrions, Renan proclame que l’art doit se juger avec l’élément rationnel, qu’il n’y a pas besoin d’autre chose, et le voici délirant publiquement. Ah ! la drolatique cervelle, quand elle émet des idées sur les choses qu’elle ne connaît pas !

Tout en aimant beaucoup l’homme, impatienté par ce blasphème, je l’interromps soudain, et lui demande, à brûle-pourpoint, la couleur du papier de son salon. L’apostrophe le trouble, le démonte, il ne peut répondre… Et je persiste à croire que pour parler art, il est nécessaire de connaître les couleurs des murs, entre lesquels on vit tous les jours, et que les yeux sont encore de meilleurs instruments de perception artistique que « l’élément rationnel ».

Tous ces jours-ci, pris d’une espèce de rage contre mon pays, contre ce gouvernement, je m’enferme, je me claustre dans mon jardin, tâchant de tuer ma pensée, mes souvenirs, mes appréhensions de l’avenir dans un travail abêtissant — ne lisant plus de journaux, et fuyant les gens à renseignements.

Un écœurant spectacle, que ce Paris avec tous ces mobiles, qui y traînent leur oisiveté et leur dépayse-