Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/52

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s’abaissant devant la porte, toute verte de couronnes d’immortelles, piquées de cocardes, me font deviner des signataires du registre d’indignation.

À l’entrée de la rue de Rivoli, des charrettes passent, laissant voir les quatre pieds de grands bœufs morts, étendus sur le dos, et couverts d’une serge verte.

La grande allée des Tuileries est jonchée de paille. Sur la litière de cette gigantesque écurie, et semblant poser pour les études aimées de Géricault, se développent, s’allongent, se ramassent, dans le chatoiement du plein air, les croupes blanches, alezanes, pommelées de milliers de chevaux. Derrière eux, la ligne sévère des caissons avec leur roue de rechange, et au plus loin que l’œil va sous les arbres, dans ces jeux d’ombre et de lumière, encore des croupes de chevaux, des fumées de forges de campagne, des montagnes de foin et de paille. Le grandiose et excitant spectacle, que cette image de la guerre, étalée dans ce jardin de plaisance, au milieu de ces parterres, au milieu de ces orangers, au milieu de ces statues de marbre, aux piédestaux desquels s’accrochent aujourd’hui des sabres et des manteaux d’ordonnance.

 

Ce soir, quelle insouciance, quelle belle non-conscience du lendemain, de ce lendemain, où la ville sera peut-être à feu et à sang ! Le même enjouement, la même futilité de paroles, le même bruit léger et ironique des conversations, dans les restaurants,