Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les cafés. Femmes, et hommes sont les mêmes êtres de frivolité qu’avant l’invasion, seulement quelques femmes grinchues trouvent que leurs maris ou leurs amants lisent trop longtemps le journal.

 

Je repasse cette nuit le long des Tuileries, et je retrouve le spectacle de la journée, baigné de la laiteuse clarté d’une lune, levée au haut de la rue de Rivoli, et qu’écorne la haute cheminée du pavillon de Flore. Sous l’électrique clarté, bleuissant et glaçant le vert du feuillage, à travers ces arbres qui prennent des apparences d’arbres de mythologie, parmi le silence du parc endormi, où ne s’entend que la cantilène d’un artilleur qui veille, toutes ces croupes, dans leur immobilité blanche, font rêver à des chevaux de pierre, — à un haras de marbre, retiré d’un Parthénon, découvert dans un bois sacré.

Mardi 13 septembre. — C’est le jour de la grande revue, de la monstre de la population en armes.

Au chemin de fer, les wagons sont escaladés par les lignards, leurs pains ronds fichés dans les baïonnettes. À Paris, dans toutes les rues et les boulevards nouveaux de la Chaussée-d’Antin, les trottoirs ne se voient plus sous les masses grises de vivants qui les recouvrent : une première ligne de mobiles, en blouse blanche, assis les pieds dans le ruisseau, une seconde ligne adossée ou couchée contre les