Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/64

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haleine. Sur la brouette un sommier élastique, en travers, de chaque côté, un accumulis de chaises, et au milieu, tout de son long innocemment étalée sur une couverture piquée, une petite fille déjà grandelette, la robe relevée au-dessus de ses longs bas, où il y a des jambes de biche, — dormant fatiguée et sereine, la bouche aux petites dents blanches, ouverte dans un sourire.

 

Encore un peloton de zouaves près de la Madeleine. L’un d’eux, riant d’un rire nerveux, me dit qu’il « n’y a pas eu bataille… que ç’a été de suite un sauve qui peut… qu’il n’a pas tiré une cartouche ». Je suis frappé par le regard de ces hommes : le regard du fuyard est diffus, trouble, glauque, il ne s’arrête, ne se fixe sur rien.

Sur la place Vendôme, près de l’état-major de la place, où l’on amène, à tout moment, des gens quelconques, que l’on accuse d’être des espions, je rencontre, dans la foule, Pierre Gavarni, qui est capitaine d’état-major de la garde nationale. Nous allons dîner ensemble, et à table il me confie que depuis les premières défaites — il a été à Metz et à Châlons, comme secrétaire de Ferri-Pisani — il est frappé de l’agitation dans le vide de tout le monde, du manque d’attention du cerveau français, au sujet de ses plus grands intérêts. Voilà plusieurs fois qu’il va chercher, sans pouvoir l’obtenir, un état des fusils du Mont-Valérien.

Ce soir, sur les boulevards, la foule des jours mau-