Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/99

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avec la toile de leurs tentes des burnous arabes.

Des sacs de riz sont à terre ; la distribution se fait aux hommes dans des mouchoirs et des coins de couvertures. Des moitiés de porc, enfourchées dans de petits arbres, font danser, sous leur balancement, la marche de porteurs. Des troupiers enguirlandés de sacs, d’où sortent des touffes d’herbes potagères qui les habillent de verdure, vont aux marmites de fer-blanc.

La population civile de Boulogne semble réduite à deux ou trois vieilles femmes boitaillant sur la chaussée, et presque seule la boutique du charcutier Rabat-joie est ouverte.

À la sortie de Boulogne, entre les maisons emballées, où rien ne bruit, ne remue, j’avance au milieu de détonations intermittentes de coups de fusil, éclatant tout près. J’arrive ainsi au rond-point, où je me mets à la queue de gardes nationaux, de lignards, de mobiles, un peu abrités par l’angle d’une boutique, qui a l’encoche toute fraîche d’une balle prussienne. Et c’est un amusement, en avançant un peu la tête, de voir, sous les balles des francs-tireurs embusqués au bord de la Seine, de voir, avec une lorgnette, les Prussiens de Saint-Cloud traverser, rapides et effacés, une petite ruelle au-dessus d’un réservoir vert. Les souris ne disparaissent pas plus vite. On les a vus plutôt qu’on ne les voit. Et comme il faut que tous les spectacles aient leur côté parisien, un gamin qui est à l’extrémité de la queue, crie : « À bas les parapluies ! »