Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/124

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en jouir, pour lui aussi promener, dans ces pierres reluisant neuf, sa jolie gaîté d’autrefois.

Quand j’entends ces blagueurs, ces enflés de la parole, parler de leurs travaux sur l’antiquité, je pense à notre travail sur la révolution, à cette lecture de livres et de brochures, qui feraient une lieue de pays, à ce plongement dans cet immense papier du journalisme, où nul n’avait mis le nez, à ces journées, à ces nuits de chasse dans l’inconnu sans limites, je nous revois pendant deux ans, retirés du monde, de notre famille, ayant donné nos habits noirs, pour ne pouvoir aller nulle part, nous payant seulement, après notre dîner, la distraction d’une promenade d’une heure, dans le noir des boulevards extérieurs… et en mon dédain silencieux, je les laisse blaguer.

Dimanche 28 décembre. — Au convoi de François Hugo, nous sommes accostés, Flaubert et moi, à la sortie du Père-Lachaise, par Judith.

Dans une fourrure de plumes, la fille de Théophile Gautier est belle, d’une beauté étrange. Son teint d’une blancheur à peine rosée, sa bouche découpée, comme une bouche de primitif, sur l’ivoire de larges dents, ses traits purs, et comme sommeillants, ses grands yeux, où des cils d’animal, des cils durs et semblables à de petites épingles noires, n’adoucissent pas d’une pénombre le regard, donnent à la léthargique créature