Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/198

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cherche à définir les qualités et les imperfections de son talent, Tourguéneff nous interrompt, en disant avec l’originalité de sa pensée et le doux gazouillement de sa parole : « La comparaison n’est pas noble, mais permettez-moi, messieurs, de comparer Taine à un chien de chasse que j’ai eu : il quêtait, il arrêtait, il faisait tout le manège d’un chien de chasse d’une manière merveilleuse, seulement, il n’avait pas de nez, j’ai été obligé de le vendre. »

Zola est tout heureux, tout épanoui de l’excellente cuisine, et comme je lui dis :

« Zola, seriez-vous, par hasard, gourmand ?

— Oui, me répondit-il, c’est mon seul vice, et chez moi, quand il n’y a pas quelque chose de bon à dîner, je suis malheureux, tout à fait malheureux… Il n’y a que cela… les autres choses, ça n’existe pas pour moi… Ah, vous ne savez pas quelle est ma vie ? »

Et le voici, avec un visage tout à coup assombri, qui entame le chapitre de ses misères. C’est curieux comme les expansions du jeune romancier versent, de suite en des paroles mélancoliques.

Zola a commencé un des tableaux les plus noirs de sa jeunesse, des amertumes de sa vie de tous les jours, des injures qui lui sont adressées, de la suspicion où on le tient, de l’espèce de quarantaine faite autour de ses œuvres.

Tourguéneff dit à mi-voix : « C’est particulier, un Russe de mes amis, un homme de grand esprit, affirmait que le type de Jean-Jacques Rousseau était un type français, et qu’on ne trouvait qu’en France… »