Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/199

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Zola, qui n’a pas écouté, continue à gémir, et, comme on lui dit, qu’il n’a pas à se plaindre, qu’il a fait un assez beau chemin pour un homme n’ayant pas encore ses trente-cinq ans :

« Eh bien ! voulez-vous que je vous parle là, du fond de mon cœur, s’exclame Zola, vous me regarderez comme un enfant, mais tant pis… Je ne serai jamais décoré, je ne serai jamais de l’Académie, je n’aurai jamais une de ces distinctions qui affirment mon talent. Près du public, je serai toujours un paria, oui un paria. » Et il le répète quatre ou cinq fois « un paria. »

Tourguéneff le regarde, un moment, avec une ironie paternelle, puis lui conte ce joli apologue : « Zola, lors de la fête donnée à l’ambassade russe, à l’occasion de l’affranchissement des serfs, événement dans lequel, vous savez, que j’ai été pour quelque chose, le comte Orloff, qui est mon ami, et au mariage duquel j’ai été témoin, le comte m’invita à dîner. Je ne suis peut-être pas le premier littérateur russe en Russie, mais à Paris, comme il n’y en a pas d’autre, vous m’accorderez que c’est moi, eh bien, dans ces conditions, savez-vous comment j’ai été placé à table ; j’ai eu la quarante-septième place, j’ai été placé après le pope, et vous savez le mépris dont jouit le prêtre en Russie. »

Et un petit rire slave remplit les yeux de Tourguéneff, en forme de conclusion.

Zola est en veine de causerie, et il continue à nous parler de son travail, de la ponte quotidienne des