Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/256

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mise, était, selon son expression, une statuette de Saxe très ébréchée, cassée en beaucoup d’endroits, une statuette à placer tout en haut sur une planche, de peur qu’un coup de plumeau ne la réduise en morceaux, une femme dont la cocasse morale, les fêlures psychiques, le ressoudage incomplet, avaient fait dans la pourpre le caractère de ce tableau.

Dimanche 21 novembre. — L’Empereur de Russie, — c’est Tourguéneff qui parle — n’a jamais lu quoi que ce soit, dans l’imprimé. Quand il lui prend envie de faire connaissance d’un livre ou d’un article de journal, on lui en fait une copie dans une écriture de chancellerie, une belle calligraphie toute ronde. Et Tourguéneff nous contait que, de temps en temps, l’autocrate fait dans le village de *** un petit séjour, où il affecte de dépouiller l’empereur, et se fait appeler M. Romanow !

Donc là, un jour, il dit à sa famille : « Le temps n’est pas beau aujourd’hui, on ne sortira pas ce soir, je vous ménage une surprise. » Le soir arrivé, l’Empereur apparaît avec un manuscrit dans les mains. C’était une nouvelle de moi… Et comme nous lui disons : — Ça été un succès ? — « Nullement, l’Empereur est de sa personne, très sentimental. Il avait choisi une nouvelle fort peu pathétique, et l’a lue d’une voix larmoyante. »