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pieds sans le pouvoir, et il retombait chaque fois, en criant : hurrah ! Pendant ce, un fantassin français, qui le regardait, sans tirer, lui criait en riant : Gros cochon ! gros cochon !

Mais les hurrah avaient été entendus, les Russes s’étaient décidés à franchir le mur, et les Français étaient bientôt chassés du cimetière.

Lisant, ces jours-ci, les Contes drolatiques de Balzac, je suis effrayé de l’admiration naïve avec laquelle je les lis. Cela me fait presque peur. Le fabricateur de livres, encore capable d’en fabriquer, dans sa lecture, ne se départ jamais, et cela tout naturellement, d’un certain sens critique. Le jour où il lit comme un bourgeois, il me semble prêt à perdre sa puissance créatrice.

Mardi 21 mars. — La toute-puissance de l’Académie sur l’esprit de la France, n’a jamais été plus complètement exprimée que par le mot d’un gendarme à Renan.

C’était à l’époque de l’Exposition universelle, Renan se tenait dans la grande salle des manuscrits de la Bibliothèque, et à cause de l’affluence des visiteurs, on avait donné à Renan pour compagnon un gendarme. Dans un moment où ils étaient seuls, le gendarme, étendant la main vers les reliures en bois et les reliures en peau de truie des antiques manuscrits des vieux siècles, dit à Renan : « Monsieur,