Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/303

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aimer l’art, et qui, pendant toute la durée de leur chienne de vie, n’ont pas donné dix francs pour une esquisse, pour un dessin, pour n’importe quoi de peint ou de crayonné ! À l’amoureux d’art, la vue des choses d’art ne suffit pas, il sent le besoin d’être propriétaire d’un petit bout, d’un petit morceau de cet art, qu’il soit riche ou non.

Mardi 20 juin. — Tout homme de lettres est toujours un individu biscornu, hanté par des originalités bizarres, et il n’y a pas besoin pour être ainsi, d’être un imaginateur, un poète, un romancier ; il suffit qu’on soit un homme, vivant de la vie des lettres.

Voici Villemain. Sait-on comment se passaient ses nuits ? Il ne dormait pas, et pannotait jusqu’au matin, prenant ici un livre, là un papier, qu’au bout de très peu de temps, il envoyait derrière lui, sur le corps de Mme Villemain, couchée et dormant dans le lit conjugal, puis il passait à un autre livre, à un autre papier qui prenait bientôt le même chemin, en sorte que la pauvre femme confiait à une amie, que ses nuits étaient horribles, que ce n’était qu’une suite de sursauts, de peurs, de réveils brusques.

Patin, c’était une autre manie. Sa femme adorait la campagne. Il ne l’empêchait pas absolument d’y aller, mais il se refusait impérieusement à la suivre, déclarant que le gaz carbonique dégagé par les arbres, l’étouffait.