Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/107

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teur qui ne fait que se moucher, pour dissimuler ses larmes, elle raconte la mort d’un premier, d’un second enfant. Mais à la mort du troisième, l’intérêt baisse dans l’omnibus, et quand elle en arrive à la mort de son quatrième enfant, mangé, au bord du Nil, par un crocodile — et c’est cependant celui qui a dû le plus souffrir, — tout le monde éclate de rire. L’histoire de ma femme en omnibus, il faut qu’un auteur l’ait toujours présente à l’esprit, quand il fait une pièce. »

L’on rit, et l’on se met à analyser les impressions de la salle à la première. Lorrain qui se trouvait dans une avant-scène, et avait autour de lui les femmes les plus connues de la grande société, parle de l’impression des dindes du monde, surtout choquées des ululements de la passion, dans la scène de rupture : — toutes ces femmes, dont l’explosion des sentiments est toujours comprimée par le chic, et quelques-unes avouant même tout haut, que leurs ruptures avaient été beaucoup plus calmes, beaucoup plus comme il faut, que ça.

Là-dessus, Daudet dit avec justice : « Ma pièce, comme mon livre, aura pour elle les hommes, qui tous y retrouveront un morceau de leur existence, et n’aura jamais pour elle, les femmes. Et voici la grande raison : c’est que dans la fille, il y a un coin d’ordure qui nous exalte, nous autres, et la femme honnête ne comprend pas cette exaltation… en est même jalouse, en sentant qu’elle ne peut pas nous la donner avec toute son honnêteté, toute sa vertu.