Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/116

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extraordinaire, se levait et venait s’asseoir à la table du déjeuner. Elle voyait son fils, en cassant un œuf à la coque, avoir un mouvement nerveux dans un coin de la bouche, puis l’entendait dire : « J’étais si bien tout à l’heure ! » au bout de quoi, sa tête tombait de côté sur la table.

On le portait sur son lit, et il était appelé un médecin, en présence duquel Baschet cherchait à parler, en regardant fixement un petit secrétaire.

Mais la parole de l’apoplectique s’embrouillait et il ne pouvait se faire entendre. Le médecin, s’apercevant de l’obstination de son regard sur le secrétaire, apportait une feuille de papier, et une plume trempée d’encre, qu’il lui mettait dans la main, et que Baschet saisissait avidement, mais au moment où il allait écrire, la plume lui tombait des mains, la paralysie avait gagné le bras.

Et ce mort-vivant, ainsi privé de tous les moyens et de toutes les manifestations, par lesquelles on se fait entendre, restait l’œil toujours dirigé sur le secrétaire, et il demeurait ainsi, du mardi au jeudi, — ayant, au dire du médecin, sa connaissance jusqu’au dernier moment.

Le pauvre diable, l’aurait-on cru, avait 650 000 francs de dettes, et pendant qu’il mourait, la rue s’emplissait de paysans des environs, auxquels il avait emprunté de petites sommes, ainsi qu’il en avait emprunté au commis de librairie Lecuyr, au relieur Petit, aux boutiquiers de la place Saint-Marc, quand il habitait Venise.