Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/126

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de Robert Caze qu’il vous a dédié. Il m’a chargé de l’excuser près de vous, pour n’avoir rien écrit sur le livre, mais il n’en a pas la force. » Et il m’annonce qu’on regarde le pauvre garçon, comme perdu.

Empli d’une noire tristesse, je continue ma route, cherchant lâchement à retarder ma visite, musardant dans les rues, entrant chez de la Narde, chez Bing. Et rue Condorcet, je me consulte, un moment, pour savoir si je ne laisserais ma carte cornée au concierge. Je me décide à monter, et tombe sur la malheureuse Mme Caze qui me dit que son mari est bien mal, qu’il a une fièvre terrible depuis cinq grandes heures.

Je m’assois dans le petit cabinet de travail, où sont Huysmans, Vidal, un peintre impressionniste. De là, par la porte ouverte, j’entends les glouglous de toutes sortes de boissons, qu’avale, coup sur coup, dans sa soif inextinguible, le blessé ; j’entends la toux incessante de la femme phtisique ; j’entends la gronderie de la bonne, qui dit à un enfant : « Vous profitez de ce que votre père est malade pour ne pas travailler. »

On attend le chirurgien qui ne vient pas. Au bout d’une demi-heure Huysmans et moi, nous nous levons et partons ensemble, parlant du mourant, et de son occupation de son livre, et de l’envoi de ses exemplaires sur papier de Hollande. Huysmans l’a entrevu aujourd’hui, une seconde, et sa seule parole a été celle-ci : « Avez-vous lu mon livre ? »

Au milieu de l’égoïsme, de la crasserie générale