Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mardi 3 juillet. — Ce soir Daudet cause de son roman futur : « La petite Paroisse » dont l’embryon est en germe dans son cerveau.

L’Immortel ne l’a pas amusé à faire, ne le satisfaisait pas complètement ; il n’y trouve qu’une seule grande qualité : l’expérience de la vie. Il veut faire maintenant une œuvre, où il mettra de lui, ce qu’il a de bon, de compatissant : sa pitié pour les misérables, les déshérités, les routiers. Son livre sera l’histoire d’un mari qui pardonne, et il s’étend sur la bêtise de tuer, pour l’homme qui aime, et qui détruit à jamais l’objet de cet amour. « Oui, reprend-il, ce sera une œuvre de mansuétude. »

Et il mettra dans un coin de ce livre de pardon, toutes les notes qu’il a prises derrière les persiennes fermées de son beau-père, devant cette fontaine, à un carrefour de routes : notes écrites au crayon, où il fixait, comme un peintre, les mouvements, les poses, les attitudes des pauvres errants, et pour ainsi dire la mimique de leurs tergiversations, devant l’énigme et la chance des chemins, s’étendant devant eux.

Vendredi 6 juillet. — Ce soir, au jour tombant, je passais devant l’Opéra déjà éclairé. L’illumination blanche dans le gris sépulcral de la pierre par le crépuscule, en faisait comme le palais fantomatique d’un fond de tableau de Gustave Moreau.