Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/105

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Vendredi 11 octobre. — À l’Exposition, j’entre au Pavillon des forêts, à une heure où la lumière commence à devenir un rien crépusculaire, et c’est vraiment pour moi comme l’entrée dans un palais magique, bâti par les fées de la Sylviculture, dans ce palais aux colonnes fabriquées par ces vieux troncs d’arbres qui ont, pour ainsi dire, les couleurs obscurées des ailes des papillons de la nuit. Et je ne pouvais détacher mes yeux du bouleau verruqueux, avec ses taches blanchâtres sur ses rugosités vineuses, du cerisier merisier, avec son enrubannement coupé de nœuds, qui ont quelque chose du dessin contourné d’une armoirie de la Belle, du fagus, du hêtre, comme tacheté, moucheté d’éclaboussures de chaux, sur son lisse si joliment grisâtre, de l’épicéa élevé, avec son écorce qu’on dirait sculptée sur toute sa surface de folioles rondes, du populus canescens, au joli ton verdâtre, qu’avaient autrefois adopté comme fond, les grisailles amoureuses du XVIIIe siècle.

Avant, j’étais entré dans la galerie des moulages. C’est d’un grand art naturiste, cette statue tombale de Marino Soccino de Vecchietta. Et l’admirable et dévote statuette de la Prière, que cette femme, la tête au ciel, dans cette tombée toute droite de sa robe, avec l’ombre de sa coiffe sur les yeux, et les mains jointes à la hauteur de sa bouche dans un mouvement de supplication. Non, il n’y a décidément qu’un siècle où l’on prie, qui puisse donner la figuration morale de la montée amoureuse d’une pensée humaine au ciel.