Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/118

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mais je n’habite qu’un petit appartement ; vous comprenez alors que le tu… »

Lundi 6 février. — Aujourd’hui Carrière est venu faire une esquisse de ma personne, sur mon canapé de Beauvais, et ayant pour fond une des portières à fleurs, que je viens d’acheter.

Je parle à Carrière des choses homicides de ce temps, entre autres de la cherté de la vie. Il me dit que lui, habitant Strasbourg, à dix-sept ans, et recevant de ses parents dix sous, le dimanche, en compagnie d’un camarade, pas plus riche que lui, dansait, toute la soirée, dans un petit bal public, une danse arrosée de plusieurs bocks. Il ajoute que plus tard, à Saint-Quentin, il payait sa pension, où il était très bien nourri, quarante-cinq francs par mois, et que cette pension, à l’heure présente, est de quatre-vingts francs, sans que le traitement de ceux qui y mangent, ait augmenté d’un sou.

Je parle à Carrière de la tristesse des pays, où la vie est chère, où il y a chez tous, chaque jour un débat avec le prix de l’existence. Il me dit qu’il y a quelques années, faisant un voyage en Suisse, il entrait dans une brasserie, où le patron chantait, en faisant ses comptes, le garçon, en rinçant les verres, la fille, en balayant, tandis que chez nos marchands de vin, patrons et domestiques, tout est morne.