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Samedi 5 mai. — Frédéric Régamey me fait voir une série de portraits, publiés dans le Matin, des dessins assez poussés, dont il fait une sorte de résumé à la plume, très largement traité, et qui a le caractère et les tailles de ces bois, illustrant les livres du XVIe siècle.

Comme je feuillette ces portraits, je lui dis :

— Eh bien, là dedans, quels sont les gens qui se disent heureux ?

— Tenez, voilà Camille Doucet, dit Régamey en me montrant son portrait, qui se proclame le plus heureux des hommes, et qui professe, que pour être heureux, il n’y a qu’à le vouloir.

— Oh ! lui, c’est un comédien… un particulier qui se croit toujours en scène.

— En voilà encore un parmi les heureux, regardez-le, s’écrie Régamey, c’est Barthélemy Saint-Hilaire… il est, tout le temps, à parler du bonheur de vivre, des jouissances, que chaque jour apporte.

— Oui, lui, est plus sincère… mais c’est un cerveau de glossateur.

— Ah ! par exemple Leconte de Lisle, reprend Régamey, lui, fichtre, il ne trouve pas belle… la vie !

Oui, oui, je crains bien que l’opinion de Leconte de Lisle soit l’opinion des intelligents et des délicats, sur l’existence humaine.

Un moment, il est question des courses, et Régamey dit assez intelligemment, que les courses sont en train de ruiner absolument la petite bourgeoisie, la classe intermédiaire entre le richard et le sans-le-sou,