Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/35

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familles — quand soudain — moi ne comprenant pas bien — après avoir rejeté le drap de dessus la maigreur cadavérique de mon pauvre petit corps, elle tomba dans les bras de son frère, en fondant en larmes.

Je la revois, ma mère, ce jour des mardis gras, où, tous les ans, elle donnait un goûter aux enfants de la famille, et à leurs petites amies et à leurs petits amis, et où tout ce monde minuscule de Pierrettes, de Suissesses, d’Écaillères, de Gardes-Françaises, d’Arlequines, de Matelots, de Turcs, emplissait de sa joie bruyante, le calme appartement de la rue des Capucines. Ce jour-là, seulement, un peu de la gaîté de ce carnaval enfantin, l’entourant de sa ronde, montait à son visage, et y mettait un charmant rayonnement.

Je la revois, ma mère, en ces années, où retirée du monde, n’allant plus nulle part, le soir, elle s’était faite le tendre maître d’étude de mon frère. Je la revois dans sa bourgeoise chambre à coucher, en ses vieux meubles de famille, avec sa pendule Empire, accotée dans un petit fauteuil, tout contre mon frère faisant ses devoirs, la tête presque fourrée dans le vieux secrétaire d’acajou, et surélevé, tout le temps qu’il fut petit, sur un gros dictionnaire, placé sur une chaise. Elle, ma mère, un livre ou une tapisserie à la main, les laissant bientôt tomber sur ses genoux, demeurait dans une contemplation rêveuse, devant son bel enfant, devant son petit lauréat du grand Concours, devant le cher