Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/76

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Et mes yeux ont gardé de ma chère parente, le souvenir de loin, comme dit le peuple, le souvenir de ses cheveux bouffant en nimbe, de son front bombé et nacré, de ses yeux profonds et vagues dans leur cernure, de ses traits à fines arêtes, auxquels la phtisie fit garder, toute sa vie, la minceur de la jeunesse, du néant de sa poitrine dans l’étoffe qui l’enveloppait, en flottant, des lignes austères de son corps ; — enfin de sa beauté spirituelle, que, dans mon roman, j’ai battue et brouillée avec la beauté psychique de Mme Berthelot.

Toutefois, je dois le dire, l’aspect un peu sévère de la femme, le sérieux de sa physionomie, le milieu de gravité mélancolique, dans lequel elle se tenait, quand j’étais encore un tout petit enfant, m’imposaient une certaine intimidation auprès d’elle, et comme une petite peur de sa personne, pas assez vivante, pas assez humaine.

De cet appartement, où j’ai vu, pour la première fois, ma tante, il ne me reste qu’un souvenir, le souvenir d’un cabinet de toilette, à la garniture d’innombrables flacons en cristal taillé, et, où la lumière du matin mettait des lueurs de saphirs, d’améthyste, de rubis, et qui donnaient à ma jeune imagination, au sortir de la lecture d’Aladin ou la Lampe merveilleuse, comme la sensation du transport de mon être, dans le jardin aux fruits de pierre précieuse. Et je me rappelle — je ne sais dans quelles circonstances, j’avais couché deux ou trois nuits chez ma tante — la jouissance physique que j’avais, dans ce cabinet aux