Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lueurs féeriques, à me laver, les mains jusqu’aux coudes, dans de la pâte d’amande : le lavage des mains à la mode, des femmes distinguées de la génération de Louis-Philippe.

À quelques années de là, c’était au bout de la rue de la Paix, le second de la maison faisant le coin de la rue des Petits-Champs et de la place Vendôme, que ma tante occupait, un vieil appartement charmant, un appartement qui coûtait, je crois bien, diable m’emporte, en ce temps-là, 2 500 francs.

Dans le gai salon donnant sur la place Vendôme, on trouvait ma tante, toujours lisant, sous un portrait en pied de sa mère, qui avait l’air d’un portrait d’une sœur, d’une sœur mondaine : — un des plus beaux Greuze que je connaisse, et où, sous les grâces de la peinture du maître français, il y a la fluide coulée du pinceau de Rubens. Le peintre, qui avait donné des leçons à la jeune fille, l’a représentée mariée, en la mignonnesse de sa jolie figure, de son élégant corps, tournant le dos à un clavecin, sur lequel, par derrière, une de ses mains cherche un accord, tandis que l’autre main tient une orange, aux trois petites feuilles vertes : un rappel sans doute de son séjour en Italie, et de la carrière diplomatique en ce pays, du père de ma tante.

Et c’était, quand on entrait dans le salon, un lent soulèvement des paupières de la liseuse, comme si elle sortait de l’abîme de sa lecture.

Alors, devenu plus grand je commençai à perdre la petite appréhension timide, que j’éprouvais aux