Page:Goncourt - Madame Gervaisais, 1869.djvu/137

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jours et à ce vœu près de la mort, elle s’était sacrifiée. Et elle repassait ces tristes premières années grises de son mariage, ces années vides, patientes, résignées, monotones, d’une union sans amour, sans amitié, sans estime ; ces années avec cet homme, un homme qui n’était ni bon ni mauvais, ni aimant ni égoïste, ni jeune ni vieux, ni beau ni laid, mais qui était nul, d’une de ces nullités que certains hauts fonctionnaires, sortis de leur bureau et de la société, trahissent et semblent débrider au foyer conjugal. Elle recomptait le temps passé, où chaque heure, une à une, lui avait révélé le secret du rien, la bêtise sans fond de cet homme, directeur d’une des quatre grandes directions de l’État, qui faisait des travaux estimables, passait pour un économiste, dirigeait un nombreux personnel, manœuvrait de gros chiffres, s’imposait à l’opinion par la hauteur de la place et l’officiel de l’importance.

La vie ― toujours ! ― avec cet homme, une société insupportable à son intelligence et la blessant comme d’un pénible choc