Page:Goncourt - Madame Gervaisais, 1869.djvu/310

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pendant un long temps la souffrance d’un douloureux état qu’elle n’osait avouer à son confesseur. Elle subissait une épreuve qui par moments la désolait malgré l’ardeur, la passion de sa dévotion, la ténacité de sa prière, sa tendance continuelle vers Dieu, son avidité d’être toute à lui et de lui tout immoler ; malgré ce qui aurait dû, pour ainsi dire, faire naître Dieu en elle, Dieu n’y naissait pas. Elle ne possédait pas sa présence intérieure, elle ne pouvait se la donner ni l’atteindre. Un accablement lui venait à penser qu’il se reculait d’elle. Et elle passait par ces malaises et ces tourments de certains cœurs élancés de jeunes filles auxquelles manque, pour Celui qu’elles adorent, la confiance adorante, et qui, ne ressentant devant lui que la crainte et le respect, n’osent pas, comme dit saint Augustin, se jeter dans ses bras et se cacher dans son sein. La redoutable majesté du Maître lui en dérobait la bonté, et l’impression qu’elle en avait, pareille à une frayeur sainte, comprimait en elle le désir d’aimer et de s’abandonner : elle avait peur de Dieu.


LXXXVI