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Page:Gonneville - Trois ans en Canada, 1887.djvu/35

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Pour Robert, il connaissait trop M. de Kergy pour croire aux protestations d’amitié qu’il lui faisait sans cesse, et ce n’était qu’avec déplaisir qu’il le rencontrait chez sa cousine, il n’osait cependant parler à Géraldine de son cousin, de peur de l’affliger.

Avec sa pénétration ordinaire, Gontran ne demeurait pas étranger à ce qu’éprouvaient M. de Marville à son égard. En conséquence, il résolut de hâter sa vengeance.

Depuis longtemps, il connaissait le mauvais état des affaires de M. Auricourt.

— Il faut que j’attende sa ruine, se disait-il, ensuite je ferai disparaître M. de Marville, j’arrangerai tout de manière à ce que Géraldine croit qu’il l’a oubliée, et que l’intérêt seul l’a guidé jusqu’alors ; son chagrin la tuera, sinon elle prendra le voile. Une barrière infranchissable doit la séparer de Robert ; lui il ne recouvrera sa liberté que le jour elle sera complètement perdu pour lui. Voilà la vraie manière de se venger.

§

Le soir était venu, il faisait noir, le vent soufflait lugubrement, interrompant seul le silence dans lequel Québec demeurait plongé. Un homme enveloppé d’un grand manteau, le visage couvert d’un masque, marchait d’un pas rapide, en remontant la ville.

— Je crois qu’enfin, je le tiens, se disait-il, cette fois, il ne m’échappera pas. Ah ! de Marville, jouis bien ce soir de ta dernière entrevue avec ta fiancée, lorsque tu la retrouveras, ce sera derrière la grille d’un couvent.

Gontran eut bientôt atteint le chemin Ste Foye, là il s’arrêta quelques instants et écouta ; tout était calme.

En ce moment, dix heures sonnèrent à la Cathédrale, de Kergy pressa le pas jusqu’à ce qu’enfin il eût atteint un grand chêne, sur lequel il frappa un coup avec sa canne, alors les branches s’agitèrent et un homme se laissa glisser à terre.

— Est-il temps d’agir, dit Alléomenie, car c’était lui.

— La caverne est-elle prête, demanda Gontran sans répondre à sa question.

— Oui.

— Alors suis moi. M. de Marville quittera la demeure de Mlle Auricourt avant une demi-heure.

Durant ce temps, Robert et sa fiancée s’entretenaient de leur bonheur futur.

Géraldine était presqu’entièrement rétablie, M. de Marville demeura donc plus longtemps, il ne craignait pas de la fatiguer en la faisant veiller, d’ailleurs la jeune fille s’était déjà opposée deux fois à son départ, on eut dit qu’elle avait un pressentiment de ce qui allait arriver.

Il la quitta ainsi. En le voyant partir, le cœur de Géraldine se serra, elle monta à sa chambre, et là se laissant tomber à genoux, aux pieds de son crucifix, elle pria longtemps Dieu de protéger celui qu’elle aimait.

Pour Robert, il s’en retournait tranquillement, lorsqu’au bout de dix minutes de marche, ses pieds s’embarrassèrent dans une corde, et perdant l’équilibre, il, tomba. Surpris d’avoir rencontré cet obstacle, il s’apprêtait à se relever, mais deux mains puissantes se posèrent sur ses épaules et le forcèrent à demeurer cloué sur le sol, tandis qu’on lui mettait un large bandeau sur le visage.

Le jeune homme voulut se défendre, un énorme coup de poing s’abattit sur sa tête, avec une telle force qu’il en fut tout étourdi et qu’il n’opposa plus aucune résistance à ses mystérieux agresseurs.

Il sentit seulement qu’on l’enlevait de terre et qu’il était emporté par deux bras puissants.

CHAPITRE XX
désespoir.

Le lendemain, lorsque Géraldine vit les heures s’écouler sans revoir Robert, une cruelle anxiété s’empara d’elle. Elle envoya François s’informer de M. de Marville.

On lui fit répondre que, depuis la veille, il n’était pas rentré chez lui.

— Il lui est arrivé malheur, s’écria-t-elle, j’en suis certaine, et la pauvre enfant fondit en larmes.

Tandis que notre héroïne se désespérait ainsi, Robert était retenu prisonnier dans une affreuse caverne, plongé dans les ténèbres.

Combien il souffrait en pensant à sa fiancée, qu’allait-elle devenir sans lui, seule au monde, sans protection.

Qui le retenait loin de Géraldine ? S’il se trouvait face à face avec son ennemi ! mais il ne pouvait rien, ses membres étaient enchaînés et depuis la veille, il n’avait vu personne ; ceux qui le retenaient lui avaient mis un pain et une cruche d’eau près de lui et ne s’étaient pas remontrés depuis. Pourquoi le gardait-on ? que voulait-on faire de lui ? combien durerait sa captivité ?

Voilà, toutes les questions que le jeune homme s’adressait et qu’il ne devait pouvoir répondre, hélas, que plusieurs mois plus tard.

Pour Mlle Auricourt, après avoir passé tout le jour dans des transes mortelles, elle eut un moment de consolation. Madeleine vint la prévenir que le domestique de M. de Marville demandait à la voir.

La jeune fille se hâta de descendre.

— Mon maître est parti ce matin pour Montréal, dit le serviteur, en s’avançant vers elle, il n’est pas rentré chez lui depuis hier ; mais il m’a chargé de vous remettre cette lettre en personne.

Géraldine la saisit, le remercia et courut s’enfermer dans sa chambre pour en prendre connaissance.

M. de Marville lui disait en effet qu’il était parti le matin même pour Montréal ; qu’il y serait peut-être longtemps ; mais de ne pas s’inquiéter, qu’il lui écrirait bientôt et expliquerait la raison de son départ subit. Puis le jeune homme terminait en l’assurant de son affection.

Cette lettre rassura un peu Géraldine ; mais elle n’était pas satisfaite et se sentait inquiète, il lui semblait qu’il y avait un air de froideur inaccoutumée dans cette lettre.

La jeune fille néanmoins se résigna à attendre patiemment une seconde missive de son fiancé.

Deux autres lettres lui parvinrent dans l’espace d’un