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mois, puis une dernière qui vint briser tous ses rêves d’avenir. Elle était conçue en ces termes.

Mademoiselle

Après avoir bien songé à l’acte important que j’allais bientôt accomplir, j’ai cru plus sage de rompre un engagement qui nous mettrait tous deux dans la misère. Avec la minime pension que vous a laissée votre père, vous êtes à l’abri des privations que nous aurions à supporter en nous mariant ; et je vous aime assez pour préférer m’éloigner et m’efforcer de vous oublier, que de vous voir pleurer sur le sort de vos enfants.

Adieu, je vous souhaite de rencontrer quelqu’un plus digne que moi de vous rendre heureuse.

Robert de Marville.

En prenant connaissance de cette lettre, Géraldine s’évanouit.

Le bruit qu’elle fit en tombant sur le sol, attira Madeleine ; en apercevant sa jeune maîtresse privée de sentiments, elle la saisit dans ses bras et la porta sur le lit, appela François et l’envoya en toute hâte quérir un médecin, tandis qu’elle baignait les tempes de la jeune fille avec de l’eau froide et lui faisait respirer des sels.

Ce ne fut qu’au bout de plusieurs heures, que Géraldine recouvrit connaissance.

Elle ne se rappelait de rien ; mais bientôt ses yeux tombèrent sur la fatale lettre demeurée ouverte sur la table ; alors les sanglots soulevèrent sa poitrine.

— Robert, Robert, murmura-t-elle à travers ses larmes, est-ce là la foi que tu m’avais jurée ? Quoi n’y a-t-il donc aucune loyauté en ce monde ? pourquoi vivre pour apprendre jusqu’à quel point est grande sa perversité. Ah ! je veux mourir, je veux mourir, répétait-elle en se tordant les bras de désespoir et parcourant sa chambre à grands pas, mon père, pourquoi m’avez-vous laissée seule ici-bas ?

De la demeure où vous êtes, venez chercher votre fille infortunée ; elle ne peut plus supporter la vie.

Disant, Géraldine se laissa tomber à genoux, devant un grand cadre, représentant le Christ pleurant au jardin des Oliviers, elle leva les yeux sur ce tableau et là, mêla l’amertume de ses larmes à celles que le fils de l’homme avait versées en cet endroit sur l’humanité que ses souffrances ne pourraient racheter tout entière et comme lui, la jeune fille répétait, de temps en temps.

— Mon père, mon père, éloignez de moi ce calice d’amertume.

Pauvre enfant, désormais, elle était seule au monde. Ce monde, que dis-je ! ce n’était plus un monde, c’était un aride désert, où sa voix ne trouverait plus d’écho.

La fiancée de Robert demeura là, longtemps, le regard fixé sur l’image du Dieu sauveur.

Pour quelques instants, elle oublia la terre ; sa pensée s’envola vers cette patrie inconnue, mais promise, et elle entendit ces paroles.

« Venez à moi, vous qui pleurez, car vous serez consolés. »

— Oui, murmura la jeune fille, j’irai frapper à la maison de Dieu et pour toujours ma vie sera consacrée au Seigneur ; la religion fait oublier, Robert, je te pardonne, je t’aimais trop. Un bonheur comme aurait été le mien n’est pas fait pour un mortel ; tu as pris mon existence, désormais rien ne peut me rattacher au monde, tout est mort pour moi, puisque son amour a cessé.

Robert, Robert.

Sa tête se pencha, ses larmes recommencèrent à couler et vinrent tomber brûlantes sur son sein.

Madeleine entra en ce moment.

— Ma chère maîtresse, s’écria-t-elle, vous vous rendez malade, que deviendrait votre pauvre servante si vous la quittiez ?

Et relevant la jeune fille, elle s’efforça de la consoler.

Géraldine se sentit émue de l’affection que lui témoignait sa nourrice ; mais elle ne put, néanmoins, lui cacher son chagrin, en songeant à toute la tendresse que M. de Marville avait eue, lorsque lui aussi s’efforçait de la consoler. Hélas, était-il vrai qu’après tant de preuves de son amour, il l’abandonnait ? Non, elle ne pouvait le croire, il était incapable d’une telle action, et pour quelques instants, Géraldine se rattachait à cet espoir, oubliant son malheur.

Mais cette lettre qu’elle froissait entre ses mains crispées ; c’était bien son écriture.

Il n’y avait plus de doute, c’était bien lui, lui qu’elle avait aimé à cause des nobles sentiments qu’elle avait cru deviner chez cet homme, qui aujourd’hui accomplissait l’action la plus basse.

La pensée la plus cruelle qui torturait tout son être était d’être obligée de s’avouer qu’il n’était pas digne de son amour.

C’était ainsi que son idéal qu’elle avait trouvé chez Robert, devait être brisé. Le piédestal sur lequel elle l’avait élevé, s’écroulait pour ne laisser dans son esprit que ces mots :

Perfide et lâche,

CHAPITRE XXI
comment gontran savait dissimuler.

Tandis que les choses se passaient ainsi, Gontran de Kergy ne négligeait pas sa cousine. Il se rendait comme à l’ordinaire tous les soirs chez elle.

Géraldine ne put lui cacher sa douleur ; il était l’unique parent qui lui restait et notre héroïne sentait le besoin de décharger son cœur.

La jeune fille ne pouvait dissimuler ce qu’elle éprouvait ; c’était une nécessité pour elle de se confier à quelqu’un. Croyant à l’amitié de Gontran, elle n’hésita pas à lui apprendre ce qu’il savait.

M. de Kergy, avec beaucoup de ruse, feignit une grande colère.

— Le traître, s’écria-t-il, je le tuerai pour vous venger, je vais de ce pas à sa recherche, il faut qu’un duel ait lieu entre nous.

Il se dirigea vers la porte, la jeune fille le retint.

Non Gontran, n’en faites rien, la vengeance n’a aucun attrait pour moi, elle ne pourrait apaiser ma douleur, maintenant le lieu où je pourrai oublier, est le couvent, j’y rentrerai dans quelques jours.

— Quoi Géraldine, vous quitterez le monde, pour vous enfermer dans un cloître, tandis que vous êtes jeune et belle ; que vous pourriez rencontrer quelqu’un qui vous rendrait heureuse, et, cela pour ce de Marville, que je voudrais que vous n’eussiez jamais vu. Je vous en prie, ne prenez pas une détermination semblable.

— Gontran, vous vous trompez, je ne pourrai plus