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supporter tous les chagrins que j’ai endurés, sans la pensée que tu m’aimerais malgré tout.

Puis, il lui raconta comment on l’avait fait prisonnier et retenu dans une caverne, comment il avait été délivré par l’Indienne intrépide, qui l’avait déjà sauvé au fort George.

Il était inutile pour Robert de dire qu’il avait souffert ; en l’apercevant, on le devinait tant le pauvre jeune homme était changé et amaigri : on eut dit l’ombre de lui-même.

— Géraldine, crois-tu encore, lui demanda-t-il, en terminant son récit, que c’est moi qui ai écrit cette lettre infâme ; lorsque toutes les tortures que j’ai endurées étaient causées par la pensée que tu étais seule au monde.

— Robert, me pardonneras-tu jamais ? fit-elle, éclatant en sanglots ; non, je ne suis pas digne que tu m’aimes encore.

Elle ne put en dire davantage, ses larmes la suffoquaient.

— Calme-toi, Géraldine, dit-il, mon amour ne peut cesser, oui, je t’aime davantage pour tout ce que tu as souffert, et si tu veux me rendre parfaitement heureux, consens à ce que notre mariage s’accomplisse dès aujourd’hui, il n’a été que trop retardé.

Mlle Auricourt leva sur lui ses regards remplis de reconnaissance.

— Robert, mon bonheur sera l’accomplissement de tes désirs.

En cet instant, on frappa à la porte. C’était le prêtre qui devait ce jour même faire prononcer les vœux à notre héroïne. Il venait chercher de ses nouvelles ; mais il s’arrêta sur le seuil de la chambre en apercevant M. de Marville, auprès de la jeune fille.

Robert se leva, et s’avançant vers le serviteur de Dieu, il lui dit.

— Monsieur, je suis le fiancé de Mlle Auricourt, depuis plusieurs mois. De fatales circonstances nous séparèrent la veille de notre mariage.

Je viens vous solliciter de vouloir bien bénir notre union, dès à présent, afin que l’ennemi qui m’a poursuivi jusqu’ici, ne puisse nous séparer de nouveau. Mlle Auricourt est orpheline, et son père en mourant l’a confiée à ma protection.

— Ceci est fort bien, répondit le prêtre, mais Mlle Auricourt ne peut trouver de meilleure protection que celle de Dieu, auquel elle devait se consacrer aujourd’hui ; Mademoiselle, avez-vous réellement renoncé à votre vocation religieuse ?

— Dieu ne m’en trouve pas digne, répondit la jeune fille, tout émue ; c’est une terrible épreuve qu’il m’a envoyée, en me séparant de celui que j’ai toujours aimé ; j’espère l’avoir supportée selon sa volonté, et maintenant, je me joins à M. de Marville pour vous solliciter de lui accorder sa demande.

Que la volonté de Dieu s’accomplisse, venez, mes enfants, dans la chapelle.

Tout le monde le suivit et la cérémonie commença.

Que de sentiments différents se passaient dans l’âme de Géraldine depuis une heure. Il lui semblait que tout ce qu’elle voyait était un rêve.

Après la cérémonie, on passa dans l’appartement voisin.

— Ce jour me rend les deux êtres chéris que j’avais perdus, dit Robert en prenant la main de sa sœur et l’amenant devant sa femme. C’est Alice, cette Alice que tu désirais connaître depuis si longtemps.

— Quoi ta sœur !

Et madame de Marville se jeta dans les bras de la religieuse.

— Je l’ai aimée, dit-elle, avant de savoir qui elle était, Robert, tu ne sais combien elle a été remplie de bonté pour moi. Oui, je trouve en elle une véritable sœur.

M. de Marville ramena sa femme à l’ancienne demeure de son père, Madeleine pleurait de satisfaction, pour Géraldine, elle se sentait si heureuse qu’elle ne pouvait exprimer sa joie.

— Cher Robert, dit-elle, en entourant son cou de ses deux bras, est-il possible que nous pourrons désormais nous aimer sans chagrin.

— Oui, mon ange, personne ne peut t’enlever à ma tendresse, c’est sur le sein de ton époux que tu dois te reposer des douleurs que tu as éprouvées.

Et il déposa un baiser sur ses joues amaigries. Géraldine laissa tomber sa tête sur son épaule.

— Je suis trop heureuse, dit-elle, il me semble que je rêve.

— Alors rêve en paix sur mon cœur, fit-il en passant son bras sous la taille de la jeune femme, et la pressant sur sa poitrine, ton rêve n’aura pas de réveil.

CHAPITRE XXIV
sur le chemin ste foye.

Le lendemain, M. de Marville se dirigeait vers la demeure du général Montcalm.

Bien des changements s’étaient opérés depuis qu’il avait vu Québec. La canonnade n’avait pas cessé, chacun se tenait enfermé dans sa maison, craignant le feu des Anglais.

Les rues étaient désertes et tristes. Robert contemplait d’un regard morne les désastres de la ville.

Il arriva enfin à la demeure du général ; le jeune homme se sentait ému en gravissant les marches.

Lorsqu’on l’introduisit dans le salon, le marquis était assis auprès d’un pupitre et écrivait ; mais en entendant le nom de Marville, sa plume s’échappa de sa main, il se leva comme mu par un ressort.

— Est-il possible, s’écria-t-il, non, je ne puis le croire ; mais d’où venez-vous, mon cher Robert, est-ce bien vous ?

Et il ouvrit ses bras. Robert s’y précipita.

— Dans des temps comme ceux-ci, il n’y a que votre présence qui puisse apporter un adoucissement à mes peines ; mais vous avez beaucoup souffert, mon pauvre Robert, toute votre personne l’annonce, que vous est-il arrivé, à quoi attribuer votre disparition ?

— À la haine de mon ennemi, général, Gontran de Kergy voulait mettre entre Mlle Auricourt et moi une barrière infranchissable, afin de se venger.

— Oh ! de Kergy, je m’en doutais, Robert c’est moi qui me charge de sa punition ; il ne faut pas que dans un duel, vous courriez risque d’être tué par ce misérable ; racontez-moi comment tout ceci est arrivé.

Le jeune homme obéit.

— Ainsi, dit le général, lorsqu’il eut terminé son récit, vous êtes arrivé à temps pour empêcher Mlle Auricourt de prononcer des vœux irrévocables, et c’est à cette Indienne à qui vous deviez déjà la vie que vous êtes redevables de ce bonheur ! il est singulier de rencontrer dans cette nation barbare des âmes