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OBLOMOFF.

les cachots du monstre, ou de l’ours à la jambe de bois qui parcourt les paroisses et les villages à la recherche de sa patte coupée, les cheveux de l’enfant se dressaient d’horreur, son imagination naissante tantôt se glaçait, et tantôt bouillonnait comme un cratère. Il éprouvait une sensation à la fois agréable et douloureuse ; ses nerfs se tendaient comme des cordes.

Quand, d’une voix lugubre, la bonne, répétait les paroles de l’ours : « Crie, crie, jambe de tilleul ! j’ai traversé les paroisses, j’ai traversé les hameaux ; toutes les femmes dorment, une seule femme ne dort point ; elle est accroupie sur ma peau, elle cuit ma chair, elle file ma laine, » etc. ; quand l’ours entrait enfin dans l’izba et était près de saisir le ravisseur de sa jambe, l’enfant n’en pouvait plus d’effroi. Il se jetait, tremblant et criant, dans les bras de sa bonne ; ses larmes jaillissaient d’épouvante, et, en même temps, il riait de joie à l’idée de n’être point entre les griffes de la bête, mais sur le poêle auprès de sa bonne.

L’imagination du petit garçon se peupla de fantômes étranges ; la mélancolie et la peur se nichèrent pour longtemps, peut-être pour toujours dans son âme. Il jeta autour de lui un regard triste et n’aperçut dans la vie que méchanceté et malheur ; il rêva à cette contrée enchanteresse, où il n’y avait ni mal, ni soucis, ni douleurs, où résidait Militrissa Kirbi-