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OBLOMOFF.

dignité cynique. C’était M. Michée Taranntieff, compatriote d’Oblomoff.

Taranntieff regardait tout d’un air malveillant et presque dédaigneux. Plein d’une visible aversion pour ce qui l’entourait, il était prêt à tout insulter, les hommes et les choses. On aurait pu croire à un esprit aigri par l’injustice, à un mérite méconnu, enfin à un caractère énergique, persécuté par le sort qu’il subissait de mauvaise grâce, mais sans se décourager.

Il avait le geste ample et hardi, le verbe haut, prompt et presque toujours colère ; à quelque distance il semblait qu’on entendît le roulement de trois chariots vides sur le pavé. Personne n’avait le don de l’intimider : il ne mâchait pas le mot, et était en général d’un commerce désagréable avec tout le monde, sans en excepter ses amis. Il avait toujours l’air de dire aux autres qu’en causant avec eux, ou même en dînant, ou en soupant chez eux, il leur faisait beaucoup d’honneur.

Taranntieff était doué d’un esprit vif et rusé ; personne ne savait mieux que lui résoudre une question de la vie ordinaire ou débrouiller une affaire litigieuse. Dans l’une ou l’autre circonstance, il développait sur-le-champ une théorie pour le cas présent, déduisait très-subtilement les preuves à l’appui, et, pour conclure, finissait toujours par brutaliser celui qui lui avait demandé conseil.