Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/103

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Trois ouvriers s’arrêtèrent non loin d’elle ; l’un dit à mi-voix d’un ton de regret :

— Je n’en ai point trouvé…

— Il faudrait pouvoir la lire… Moi, je ne sais même pas épeler, mais je vois qu’elle sert à quelque chose.

Le troisième regarda autour de lui, puis il proposa :

— Allons à la chambre de chauffe, je vous la lirai !

— Elles font leur effet, les brochures, chuchota Goussev avec un clignement de paupières.

Pélaguée rentra chez elle, satisfaite : elle avait vu par elle-même que les proclamations atteignaient le but visé.

— Les ouvriers regrettent leur ignorance ! dit-elle à André… Quand j’étais jeune, je savais lire, mais j’ai oublié…

— Il faut rapprendre, proposa le Petit-Russien.

— À mon âge ! À quoi bon faire rire le monde !…

Mais André prit un livre sur le rayon et demanda, en désignant une lettre du titre avec la pointe de son couteau :

— Qu’est-ce que c’est ?

— R ! répondit-elle en riant.

— Et cela ?

— A !…

Elle était un peu embarrassée et humiliée. Il lui semblait que les yeux d’André se moquaient d’elle avec un rire dissimulé, et elle les évita. Mais la voix de l’homme était douce et calme ; la mère lui jeta un coup d’œil oblique : il avait l’air sérieux.

— Vous pensez réellement à m’instruire, André ? demanda-t-elle en riant involontairement.

— Et pourquoi pas ? répliqua-t-il. Essayons ! Puisque vous avez appris à lire, vous vous souviendrez plus facilement. Si nous réussissons, tant mieux ; sinon, vous ne vous en porterez pas plus mal…

— On dit aussi qu’on ne devient pas saint rien qu’en regardant les images sacrées ! répondit la mère.

— Ah ! fit le Petit-Russien en hochant la tête, il y a beaucoup de proverbes. Celui qui dit : « Moins on sait, mieux on dort ! » n’est-il pas vrai aussi ? C’est l’estomac qui pense en proverbes ; il en tisse des lisières pour l’âme, afin de mieux pouvoir la diriger…