Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/105

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les chaînes du corps et de la raison de leur prochain… Ainsi vous, vous vous êtes mise à cette besogne, selon vos propres forces…

— Moi ? s’écria-t-elle, comment pourrais-je…

— Oui, vous ! C’est comme la pluie : chaque gouttelette abreuve un grain de blé. Et quand vous saurez lire…

Il se mit à rire, se leva et parcourut la chambre à grands pas.

— Oui, vous apprendrez… Quand Pavel reviendra, il sera étonné…

— Ah ! non, André ! dit la mère. Tout est facile quand on est jeune ; mais quand on vieillit, on a beaucoup de chagrin, peu de force et plus du tout de tête…

Le soir, le Petit-Russien sortit. Elle alluma la lampe et s’assit près de la table en tricotant un bas. Mais elle se leva bientôt, fit quelques pas, indécise ; puis elle alla à la cuisine, ferma la porte d’entrée au verrou et revint dans la chambre. Après avoir tiré les rideaux devant la fenêtre, elle prit un livre sur le rayon, s’assit à sa place, près de la table, se pencha sur les pages et ses lèvres commencèrent à se mouvoir… Lorsqu’un bruit arrivait de la rue, elle fermait le livre en tremblant et écoutait… Puis, les yeux tantôt ouverts, tantôt fermés, elle chuchotait :

— L… A… V… I… E…


XVIII


On frappa à la porte ; la mère se leva brusquement, jeta le livre sur le rayon et demanda avec anxiété en traversant la cuisine :

— Qui est là ?

— Moi…

Rybine entra. Les premières salutations échangées, il caressa longuement sa barbe, jeta un regard dans la chambre, et dit :

— Avant tu laissais entrer les gens sans demander qui c’était… Tu es seule ?