Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/106

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— Oui !

— Ah ! je croyais que le Petit-Russien était là… Je l’ai vu aujourd’hui… La prison ne corrompt pas l’homme… C’est la bêtise qui nous corrompt plus que tout le reste, voilà !

Il passa dans la chambre, s’assit et continua :

— Eh bien, je veux te dire quelque chose… Il m’est venu une idée, vois-tu…

Il avait un air grave et mystérieux qui inquiétait vaguement Pélaguée. Elle s’assit en face de lui et attendit, soucieuse, sans mot dire.

— Tout coûte de l’argent ! commença-t-il de sa voix pesante. On ne naît ni ne meurt gratis… Voilà ! Et les brochures et les feuillets coûtent aussi de l’argent. Maintenant, sais-tu d’où vient l’argent qui paie ces brochures ?

— Je ne sais pas ! dit la mère à voix basse, devinant un danger.

— Voilà. Je ne le sais pas non plus. Secondement : qui compose ces brochures ?

— Des savants…

— Des seigneurs, des gens au-dessus de nous, répliqua brièvement Rybine.

Ses intonations devenaient plus profondes ; son visage barbu était rouge et tendu.

— Donc, ce sont les grands qui composent ses brochures. Et ces brochures sont dirigées contre les grands, les puissants, ceux qui nous commandent. Maintenant, dis-moi, quel avantage ont-ils à perdre leur argent à soulever le peuple contre eux… hein ?

La mère ferma brusquement les yeux, puis elle les rouvrit tout grands et s’écria avec effroi :

— Que penses-tu ?… Dis-le !

— Ah ! ah ! reprit Rybine en s’agitant pesamment sur sa chaise, comme un ours. Voilà… Moi aussi j’ai eu froid, quand j’en suis arrivé à cette pensée…

— Qu’est-ce que ce serait ? As-tu appris quelque chose ?

— C’est de la tromperie ! répliqua Rybine. Je sens que c’est de la tromperie. Je ne sais rien, mais je vois qu’il y a de la tromperie… Voilà ! Les nobles, les hommes instruits veulent raffiner… Et moi, je ne veux pas… Il me faut la vérité… Et je comprends la vérité,