Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/107

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je l’ai comprise… Et je ne veux pas m’allier aux riches… Quand ils ont besoin de vous, ils vous poussent en avant… afin que vos os servent de pont pour aller plus loin…

Ses paroles acerbes serraient le cœur de la mère.

— Seigneur ! s’écria-t-elle avec angoisse. Comment Pavel n’a-t-il pas compris ? Et tous ceux… qui viennent de la ville… seraient-ils vraiment ?…

Les visages sérieux et honnêtes de Nicolas Ivanovitch, de Iégor, de Sachenka se dressèrent devant elle ; son cœur tressaillit :

— Non ! non ! continua-t-elle en hochant la tête. Je ne puis le croire… C’est leur conscience qui les pousse… Ils n’ont pas de mauvais desseins, non…

— De qui parles-tu ? demanda Rybine pensif.

— De tous, de tous ceux que j’ai vus, sans exception. Ils ne trafiqueraient pas du sang humain…

Des gouttes de sueur apparurent sur son visage ; ses doigts tremblaient.

— Ce n’est pas là qu’il faut regarder, mère, mais plus loin ! dit Rybine en baissant la tête. Ceux qui se rapprochent le plus de nous ne savent peut-être rien eux-mêmes… Ils croient qu’ils agissent bien… ils aiment la vérité. Mais peut-être y en a-t-il d’autres derrière eux qui ne voient que leur propre avantage… L’homme ne travaille pas contre lui-même sans qu’il y ait une raison…

Et il ajouta, avec la gauche certitude du paysan, imbu d’une incrédulité séculaire :

— Jamais il ne sortira rien de bon de la main des seigneurs et des gens instruits ! Voilà !

— Qu’as-tu décidé ? demanda la mère, de nouveau en proie à un doute vague.

— Moi ? Rybine la considéra, garda le silence pendant un instant et répéta : il ne faut pas s’allier avec ceux qui sont au-dessus de nous… Voilà !

Puis il se tut de nouveau : on eût dit qu’il se pelotonnait sur lui-même.

— Je m’en vais, mère. J’aurais voulu me joindre aux camarades et travailler comme eux… Je suis bon pour cette besogne, je suis obstiné et pas bête, je sais lire et écrire. Et surtout, je sais ce qu’il faut dire aux gens. Voilà ! Et maintenant, je m’en vais. Puisque je ne