Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/131

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— Tu as bien le temps, viens !

— Oui…

Mais il ne rentra pas immédiatement et, sur le seuil de la cuisine, il déclara d’un air affairé :

— Il faut dire à Vessoftchikov qu’il apporte du bois, il n’en reste plus beaucoup. Vous voyez comme la prison a fait du bien à Pavel… Au lieu de punir les révoltés, le gouvernement les engraisse…

La mère se mit à rire, son cœur tressaillit doucement ; elle était comme grisée de bonheur ; mais déjà un sentiment de prudence lui faisait désirer de voir son fils calme comme il l’était toujours. Son âme trop heureuse voulait que la première joie de sa vie se repliât d’un coup dans son cœur pour rester pour toujours aussi forte et aussi vive. Comme si elle eût craint que son bonheur ne s’amoindrît, elle se hâta de le recouvrir, tel l’oiseleur qui a pris par hasard un oiseau merveilleux.

— Tu n’as pas encore mangé, allons dîner, Pavel ! proposa-t-elle.

— Non. Le surveillant m’a appris hier qu’on avait décidé de me libérer et depuis lors je n’ai eu ni faim ni soif… La première personne que j’ai rencontrée ici, c’est le vieux Sizov, raconta-t-il à André. En me voyant, il a traversé la rue pour me dire bonjour… je l’ai engagé à être plus prudent, puisque je suis un homme dangereux, sous la surveillance de la police ! — Cela ne fait rien, m’a-t-il répondu. Et sais-tu ce qu’il m’a demandé au sujet de son neveu ? — Fédor s’est-il bien conduit en prison ? — Qu’entendez-vous par bien se conduire quand on est en prison ? — Eh bien, ne pas bavarder au sujet des camarades ! Quand je lui ai appris que Fédor est un garçon honnête et intelligent, il s’est caressé la barbe en me déclarant fièrement : — Nous autres Sizov, nous n’avons pas de coquins dans la famille…

— Il n’est pas bête, ce vieillard, dit André en secouant la tête. Nous parlons souvent ensemble… c’est un brave homme ! Fédia sera-t-il bientôt libéré ?

— Ces jours-ci, probablement… Je crois qu’on relâchera tout le monde. On n’a point de preuves contre nous, sauf les dépositions d’Isaïe ; et que pouvait-il savoir ?