Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à une poutre noircie par le feu ; sa tête retombait sur l’épaule droite. Il avait la main droite dans la poche de son pantalon ; les doigts de la gauche s’enfonçaient dans la terre friable.

La mère regarda le visage du mort, l’un des yeux ternis se fixait sur sa casquette placée entre les jambes allongées ; la bouche était entr’ouverte, comme par une expression d’étonnement ; la barbiche rousse pendait, lamentable. Le corps maigre, avec la tête pointue et le visage osseux couvert de taches de rousseur, semblait encore diminué, comprimé par la mort. La mère se signa en soupirant. De son vivant, l’homme lui avait été antipathique ; maintenant, il lui inspirait un peu de pitié.

— Il n’y a pas de sang ! fit quelqu’un à mi-voix. On l’aura frappé à coups de poings…

— Il est peut-être encore vivant ? hein ?

— Va-t-en… cria le gendarme en l’écartant.

— Le docteur est venu… et il a dit que c’était fini ! déclara quelqu’un.

— On a fermé la bouche à un dénonciateur… et on a bien fait !

Le gendarme s’émut et, écartant de la main la foule des femmes qui l’entouraient, il demanda d’une voix menaçante :

— Qui est-ce qui raisonne ainsi ?

Les gens reculaient à son approche. Quelques-uns s’enfuirent vivement. Un rire malveillant résonna.

La mère retourna chez elle.

— Personne n’a pitié de lui ! pensa-t-elle.

Et la silhouette massive du grêlé se dressa devant elle ; ses yeux étroits avaient un éclat froid et rude ; sa main droite se balançait, comme si elle était blessée.

Lorsque André et Pavel rentrèrent dîner, la mère les accueillit en demandant :

— Eh bien ? On n’a arrêté personne… à cause d’Isaïe ?

— Je n’ai rien entendu dire ! répondit le Petit-Russien.

Elle vit que les jeunes gens étaient tous deux sombres et soucieux.

— On ne parle pas de Vessoftchikov ? s’informa-t-elle à voix basse.