Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/145

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Le regard sévère de son fils se posa sur elle ; il répondit en pesant sur les mots :

— Non ! On ne pense même pas à lui. Il est absent. Hier à midi, il est parti pour aller à la rivière et n’est pas encore rentré !… J’ai demandé de ses nouvelles…

— Dieu merci ! fit la mère avec un soupir de soulagement. Dieu merci !

Le Petit-Russien lui jeta un coup d’œil et baissa la tête.

— Isaïe est étendu à terre, reprit Pélaguée, toute pensive, on dirait qu’il est étonné… Personne ne le regrette, personne n’a une bonne parole pour lui… Il est tout petit, tout chétif… comme un fragment qui se serait détaché de quelque chose et qui gît-là…

Pendant le dîner, Pavel lança soudain sa cuiller sur la table et s’écria :

— Je ne puis pas comprendre ça !

— Quoi ? demanda André, jusque-là triste et silencieux.

— Qu’on tue une bête féroce, un oiseau de proie… c’est admissible… Je crois que je pourrais tuer un homme qui serait devenu un fauve pour ses semblables… Mais comment a-t-on pu lever le bras pour assassiner un être aussi pitoyable et répugnant ?

André haussa les épaules, puis il dit :

— Il était aussi nuisible qu’une bête féroce…

— Je le sais…

— Nous écrasons bien le moustique qui boit un peu de notre sang, ajouta le Petit-Russien à voix basse.

— Oui, c’est vrai. Mais ce n’est pas de cela que je parle !… Je dis que c’est répugnant !

— Qu’y faire ? répliqua André, haussant de nouveau les épaules.

— Tu pourrais tuer un être de ce genre ? demanda pensivement Pavel, après un long silence.

Le Petit-Russien le regarda de ses yeux ronds ; puis il jeta un coup d’œil rapide sur la mère, et répondit tristement, mais avec fermeté :

— S’il ne s’agit que de moi, je ne toucherai personne ! Pour les camarades, pour la cause, je ferais tout ! Je tuerais même mon propre fils, s’il le fallait !

— Oh ! soupira la mère.

Il lui sourit et dit :