Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/168

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— « Lève-toi, lève-toi, peuple ouvrier ! » fredonna Pavel.

Le jour devenait de plus en plus clair ; les nuages s’élevaient sous la poussée du vent. La mère mit la table. Elle hochait la tête en pensant que tout était bien étrange : les deux amis plaisantaient, mais que leur arriverait-il vers midi ? On n’en savait rien. Elle-même se sentait calme, presque joyeuse.

Ils restèrent longtemps à table, pour passer le temps. Comme toujours, Pavel remuait lentement sa cuiller dans son verre de thé ; il salait son pain avec soin, l’entamure, son morceau préféré. Le Petit-Russien agitait ses pieds sous la table ; jamais il ne parvenait à les placer commodément du premier coup ; il regarda le soleil traverser les verres, courir sur les murs et au plafond, et dit :

— Quand j’étais un gamin d’une dizaine d’années, l’envie me vint un jour d’attraper un rayon de soleil avec mon verre. Je me coupai la main et je fus battu ; ensuite je sortis dans la cour et, comme le soleil se reflétait dans une flaque d’eau, je me mis à le piétiner. On me battit encore, parce que j’étais tout éclaboussé par la boue… Je criai au soleil : — Ça ne me fait pas mal, diable roux, je n’ai pas mal ! Et je lui tirai la langue… Cela me consolait…

— Pourquoi te semblait-il roux ? demanda Pavel en riant.

— En face nous demeurait un forgeron ; il avait une figure rubiconde et une barbe rousse. C’était un fameux gaillard, toujours jovial, et je trouvais que le soleil lui ressemblait.

La mère perdit patience et dit :

— Vous feriez mieux de parler de ce que vous allez faire !…

— Tout est organisé ! répliqua Pavel.

— Et quand on repasse les choses déjà arrangées, on ne fait que les embrouiller ! expliqua le Petit-Russien avec douceur. Au cas où l’on nous arrêterait, petite mère, Nicolas Ivanovitch viendra vous dire ce qu’il faudra faire ; il vous aidera en tout…

— Bien ! dit la mère en soupirant.

— J’aimerais aller dans la rue ! fit Pavel d’un air pensif.