Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/169

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— Non, reste plutôt à la maison en attendant ! conseilla André. À quoi bon attirer l’attention de la police ? Elle te connaît bien assez !

Fédia Mazine accourut tout rayonnant ; il avait des plaques rouges sur la figure. Plein d’émotion, de joie juvénile, il rendit l’attente moins pénible à supporter.

— On commence ! annonça-t-il. Le peuple bouge… Dans la rue, les visages sont durs… comme des haches. Vessoftchikov, Vassili Goussev et Samoïlov sont depuis le matin au portail de la fabrique ; ils parlent aux ouvriers… Il y en a déjà une quantité qui sont rentrés chez eux… Allons, c’est le moment ! Il est déjà dix heures.

— J’y vais ! dit Pavel d’un ton résolu.

— Vous verrez : après le dîner, toute la fabrique chômera ! assura Fédia, et il s’enfuit.

— Il brûle comme un cierge au vent ! dit doucement la mère. Elle se leva et passa dans la cuisine pour s’habiller.

— Où allez-vous, petite mère ?

— Avec vous ! dit-elle.

André jeta un coup d’œil à Pavel en tirant sa moustache. D’un geste vif, Pavel arrangea ses cheveux, il rejoignit sa mère dans la cuisine.

— Je ne te parlerai pas, maman… et toi, tu ne me diras rien non plus ! C’est entendu, mère chérie !

— C’est entendu !… Que Dieu vous garde ! chuchota-t-elle.


XXVIII


Lorsque dans la rue elle entendit le bruit sourd des voix humaines, lorsqu’elle vit partout, aux fenêtres et aux portes des maisons des groupes de gens qui suivaient André et Pavel d’un regard curieux, ses yeux se voilèrent d’une tache nuageuse qui était tantôt d’un vert transparent, tantôt d’un gris opaque.

On saluait les jeunes gens, et il y avait quelque chose de particulier dans ces salutations. La mère entendait des remarques détachées :

— Les voilà, les chefs d’armée !…

— Nous ne savons pas qui est le chef…