Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/178

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— C’est vrai ?

— Je l’ai vu de mes yeux !…

Quelqu’un lança deux ou trois jurons et dit :

— Tout de même on commence à avoir peur de nous autres !… On nous envoie des soldats… et le gouverneur !

— Mes amis bien-aimés ! pensa la mère, et son cœur battit plus vite.

Mais autour d’elle, les paroles se faisaient froides et mortes. Elle hâta le pas pour s’éloigner de ses compagnons ; elle n’eut pas de peine à les devancer, car ils marchaient lentement, paresseusement.

Soudain, ce fut comme si la tête de la foule avait heurté quelque chose, il y eut un mouvement de recul, un bruit sourd. Le chant sembla frémir et, après avoir résonné avec plus de force, l’épaisse vague de sons s’abaissa de nouveau, glissa en arrière. Les voix se taisaient les unes après les autres, çà et là on faisait des efforts pour essayer de soulever de nouveau le chant à sa hauteur primitive.

Lève-toi, lève-toi, peuple opprimé ! Sus à l’ennemi, gens affamés !

Mais il n’y avait déjà plus dans cet appel la certitude générale qui vibrait auparavant ; l’inquiétude s’y était mêlée.

Pélaguée ne pouvait voir ce qui s’était passé au premier rang, mais elle le devinait ; écartant les gens, se frayant un passage, elle avança rapidement ; la foule reculait, des têtes se baissaient, des sourcils se fronçaient ; il y avait des sourires embarrassés, des coups de sifflets railleurs. La mère examinait les visages avec tristesse ; ses yeux questionnaient, suppliaient, appelaient…

— Camarades ! s’écria Pavel. Les soldats sont des hommes comme nous. Ils ne nous frapperont pas ! Pourquoi le feraient-ils ? Parce que nous apportons la vérité nécessaire à tous ? Mais, eux aussi, ils ont besoin de notre vérité… Ils ne comprennent pas encore, mais le temps est proche où ils se mettront dans nos rangs, où ils marcheront non plus sous l’étendard des pillards et des assassins, mais sous le nôtre, sous le drapeau de la liberté et du bien. Et pour qu’ils comprennent