Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/179

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plus vite notre liberté, il faut que nous allions de l’avant ! En avant, camarades ! toujours en avant !

La voix de Pavel était ferme ; les mots tombaient nets et distincts, mais l’attroupement s’éparpillait ; les uns après les autres, les gens s’en allaient, qui à droite, qui à gauche, glissant le long des murs et des clôtures. Maintenant, la foule figurait un triangle dont Pavel était la pointe ; au-dessus de sa tête, le drapeau du peuple ouvrier flamboyait. Elle ressemblait aussi à un oiseau noir, qui, déployant ses ailes, resterait aux aguets prêt à s’envoler, et Pavel en était la tête…


XXIX


La mère aperçut au bout de la rue une petite muraille grise et basse, composée de gens sans visage et qui barraient l’entrée de la place. À l’épaule de chacun d’eux brillaient de minces bandes d’acier aigu. Et, cette muraille silencieuse et immobile répandait comme un froid sur la foule ; Pélaguée en fut glacée jusqu’au cœur.

Elle se dirigea du côté où ceux qu’elle connaissait et qui étaient en avant se fondaient avec les inconnus, comme pour s’appuyer sur eux. Elle poussa du flanc un homme de haute taille, rasé et borgne ; il tourna vivement la tête pour la voir.

— Que veux-tu ? Qui es-tu ? demanda-t-il.

— La mère de Pavel Vlassov ! répondit-elle ; elle sentait que ses jambes fléchissaient et que sa lèvre inférieure s’abaissait.

— Ah ! dit le borgne.

— Camarades ! continuait Pavel. La vie tout entière est en avant de nous. Nous n’avons pas d’autre chemin. Chantons !

Un silence angoissant plana. Le drapeau s’éleva, se balança et, flottant au-dessus des têtes, se dirigea vers le mur gris des soldats. La mère frémit, ferma les yeux et poussa un gémissement : quatre personnes seulement s’étaient détachées de la foule, et c’étaient Pavel, André, Samoïlov et Mazine.