Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/184

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Elle marchait appuyée sur la hampe pour ne pas tomber, car ses genoux fléchissaient, elle s’accrochait de l’autre main aux murs et aux palissades. Devant elle, les manifestants reculaient toujours, derrière elle et à ses côtés les soldats avançaient et criaient de temps à autre :

— Va-t’en, va-t’en !

Ils la dépassèrent ; elle s’arrêta et regarda autour d’elle. Au bout de la rue, en un cordon espacé, la force armée empêchait les gens d’arriver à la place, vide maintenant. En avant, des silhouettes grises marchaient sans hâte sur la foule.

Pélaguée voulut revenir sur ses pas, mais, sans s’en rendre compte elle continua à avancer ; arrivée à une petite ruelle étroite et déserte, elle s’y engagea… Là, elle s’arrêta de nouveau. Elle soupira profondément et prêta l’oreille. Quelque part, là-bas, la foule grondait.

Toujours appuyée sur la hampe, elle se remit en marche, en remuant les sourcils. Soudain, elle s’anima, les lèvres frémissantes, elle agita la main. Pareilles à des étincelles, on ne sait quelles paroles éclatèrent dans son cœur et s’y pressèrent, la brûlant du désir de les crier.

La ruelle tournait brusquement à gauche ; au coin, la mère vit un groupe compact de gens ; quelqu’un disait avec force :

— Ce n’est pas par insolence qu’ils bravent les baïonnettes, frères !

— Avez-vous vu cela, hein ? Les soldats marchaient sur eux, et ils ne bougeaient pas ! Et ils restaient là, sans peur !…

— Oui…

— Quel gaillard, ce Pavel Vlassov ?

— Et le Petit-Russien !

— Les bras derrière le dos, et il souriait, ce diable !

— Mes amis ! bonnes gens ! cria la mère en pénétrant dans la foule.

On s’écartait devant elle avec déférence. Quelqu’un dit en riant :

— Voyez, elle a le drapeau ! elle a le drapeau à la main !

— Tais-toi ! répondit une voix avec sévérité.

La mère étendit les bras en un large geste.