Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/185

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— Écoutez, au nom de Jésus ! Vous êtes tous des nôtres… vous êtes tous des gens sincères… ouvrez les yeux… regardez sans crainte… que s’est-il passé ? Nos enfants se lèvent paisiblement… Nos enfants, notre sang, se lèvent au nom de la vérité… ils frayent loyalement la route pour arriver à une nouvelle voie, une voie large et directe destinée à tous… Pour vous tous, pour vos enfants, ils ont entrepris une croisade…

Son cœur se brisait, sa poitrine était embarrassée, sa gorge sèche et enflammée. Au plus profond d’elle-même naissaient des paroles d’un immense amour qui embrassait tout et tous, elles brûlaient sa langue et la faisaient mouvoir avec une force croissante.

Elle voyait qu’on l’écoutait ; tous se taisaient ; la mère comprenait qu’ils réfléchissaient ; un désir dont elle avait nettement conscience maintenant s’éveillait en elle : celui d’entraîner ceux qui l’entouraient, là-bas, vers André, vers Pavel, vers les camarades qu’on avait laissé prendre par les soldats, qu’on avait laissés seuls et dont on s’était éloigné.

Elle reprit avec une force atténuée, en promenant son regard sur les visages attentifs et sombres :

— Nos enfants s’en vont par le monde vers la joie ; au nom de tous et au nom de la vérité du Christ, ils marchent contre toutes les choses au moyen desquelles les méchants, les trompeurs, les rapaces nous enchaînent, nous étranglent et nous retiennent prisonniers. Mes amis ! c’est pour le peuple, pour le monde entier, pour tous les opprimés, que notre jeunesse, notre sang, se sont soulevés… Ne les abandonnez donc pas, ne les reniez pas, ne laissez pas vos enfants suivre leur voie solitairement !… Ayez pitié de vous-mêmes… aimez-les… comprenez ces cœurs d’enfants… ayez confiance en eux !

Sa voix se brisa, elle chancela, épuisée ; quelqu’un la soutint par le bras…

— C’est Dieu qui l’inspire ! cria une voix sourde et agitée, c’est Dieu qui l’inspire, bonnes gens. Écoutez-la !

Un autre la plaignit.

— Hé ! elle se tue…

— Ce n’est pas elle qu’elle tue, c’est nous autres imbéciles, qu’elle frappe, comprends-le !