Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/191

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se fixèrent écarquillés sur l’officier. Elle dit d’un ton effrayé :

— Je ne sais comment m’y prendre, Votre Noblesse !

Il frappa du pied et se fâcha.

— Eh bien… Déboutonne-toi, Pélaguée ! dit Maria.

Toute rouge, elle fouilla et tâta les vêtements de la mère en chuchotant :

— Hein ! quels chiens ?

— Qu’est-ce que tu dis ? cria l’officier avec rudesse, et il jeta un coup d’œil dans l’encoignure où elle accomplissait sa besogne.

— C’est une affaire de femme, Votre Noblesse ! murmura Korsounova d’une voix craintive.

Lorsque l’officier ordonna à la mère de signer le procès-verbal, elle traça ces mots d’une écriture gauche, en caractères d’imprimerie :

« Pélaguée Nilovna Vlassov, veuve d’un ouvrier. »

— Qu’as-tu écrit ? Pourquoi as-tu écrit cela ? s’exclama l’officier en fronçant dédaigneusement le sourcil ; et il ajouta avec un rire ironique :

— Quels sauvages !

Les gendarmes partirent. La mère se plaça devant la fenêtre ; les bras croisés sur la poitrine, elle resta là longtemps, les yeux fixés devant elle sans rien voir. Ses sourcils étaient relevés et ses lèvres pincées. Elle serrait les mâchoires avec tant de force qu’elle en eut bientôt mal aux dents. Il n’y avait plus de pétrole dans la lampe, la lumière s’éteignait avec de petits pétillements. La mère souffla sur la mèche et resta dans l’obscurité. Sa colère et son humiliation avaient disparu ; un nuage obscur et froid d’angoisse éperdue la pénétrait et lui remplissait la poitrine, gênant les battements de son cœur. Elle demeura immobile jusqu’à ce que ses yeux et ses jambes fussent fatigués. Alors elle entendit Maria s’arrêter sous la fenêtre et crier d’une voix avinée :

— Pélaguée ! tu dors ? Ma pauvre malheureuse !… Dors, dors ! On outrage tout le monde, tout le monde !…

La mère se coucha sur son lit sans se déshabiller et tomba dans un profond sommeil, comme si elle eût roulé dans un précipice.

Elle vit en rêve un tertre de sable jaune qui se trouvait au delà du marais, sur le chemin de la ville. Au