Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/213

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

exploits de révolutionnaire. Elle avait vécu sous un faux nom, se servant d’un passeport truqué ; elle s’était déguisée pour échapper aux espions, avait transporté dans différentes villes des quintaux de brochures interdites. Elle avait organisé l’évasion de camarades exilés, les avait accompagnés à l’étranger. Une fois, elle avait installé chez elle une imprimerie clandestine ; lorsque les gendarmes, prévenus du fait, étaient survenus pour perquisitionner, elle s’était habillée en servante un instant avant leur arrivée et était sortie, croisant les inquisiteurs sur le seuil. Sans manteau, un petit fichu sur la tête et une burette à pétrole à la main, elle avait traversé la ville d’une extrémité à l’autre par un froid rigoureux, en plein hiver. Une autre fois, s’étant rendue chez des amis, dans une ville lointaine, elle montait déjà l’escalier qui conduisait à leur demeure, lorsqu’elle vit qu’on y perquisitionnait. Il était trop tard pour sortir de la maison ; elle sonna alors avec audace à l’étage au-dessous de celui où elle voulait aller, et entrant chez des inconnus, sa valise à la main, elle leur expliqua franchement sa situation.

— Vous pouvez me livrer si vous voulez, mais je ne crois pas que vous le fassiez, avait-elle dit avec conviction.

Très effrayés, ces gens ne fermèrent pas l’œil de toute la nuit, pensant qu’à chaque instant on allait venir frapper chez eux. Cependant, ils ne livrèrent pas Sophie ; le matin venu, ils se moquèrent des gendarmes avec elle. Une autre fois, costumée en religieuse, elle avait pris place dans le même compartiment et sur la même banquette qu’un espion chargé de la suivre, et qui, pour se vanter de son habileté, lui raconta comment il accomplissait sa besogne. Il était sûr que Sophie était dans le train, en seconde classe ; à chaque arrêt, il sortait, et disait en revenant à la pseudo-religieuse :

— Je ne la vois pas… elle est couchée probablement. Eux aussi se fatiguent… ils ont une vie si pénible… dans le genre de la nôtre !…

La mère riait en écoutant ces histoires et regardait Sophie avec des yeux affectueux. Grande et maigre, la jeune femme marchait d’un pas ferme et léger ; ses