Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/22

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et tout ce que les yeux de Pavel, son visage, ses paroles, lui disaient d’elle, la saisissait au cœur, la remplissait de fierté ; c’était son fils à elle qui avait compris la vie de sa mère, qui lui disait la vérité sur ses souffrances, qui la plaignait.

On ne plaint pas les mères, en général.

Elle le savait. Elle ne comprenait pas que Pavel ne parlait pas seulement d’elle, mais tout ce qu’il avait dit de la vie féminine était la vérité, la cruelle vérité. C’est pourquoi il lui semblait que dans sa poitrine s’agitait une foule de sensations qui la réchauffaient comme une caresse, inconnue.

— Que veux-tu faire ? lui demanda-t-elle en l’interrompant.

— Apprendre et ensuite enseigner aux autres. Nous devons apprendre, nous autres, nous devons savoir, nous devons comprendre pourquoi la vie est si pénible pour nous.

Il était doux à la mère de voir les yeux bleus de son fils, toujours sérieux et sévère, briller de tendresse, éclairant en lui quelque chose de rare pour elle. Un sourire satisfait vint aux lèvres de Pélaguée, bien qu’elle eût encore des larmes dans les rides des joues. Un double sentiment la partageait : elle était fière du fils qui voulait le bonheur de tous les hommes, qui les plaignait tous et voyait la douleur de la vie ; et, en même temps, elle ne pouvait oublier qu’il était jeune, qu’il ne parlait pas comme ses camarades, qu’il avait résolu d’entrer seul en lutte contre la vie coutumière qu’elle et les autres menaient. Elle eut envie de lui dire :

— Chéri ! que peux-tu faire ? On t’écrasera… tu périras.

Mais elle craignit de cesser d’admirer le jeune homme qui soudain s’était révélé à elle, si intelligent, si changé… et un peu étranger.

Pavel voyait le sourire sur les lèvres de sa mère, l’attention qu’elle lui prêtait, l’amour éclatant dans ses yeux, il crut lui avoir fait comprendre la vérité qu’il avait découverte, et la jeune fierté de la force de sa parole exalta sa foi en lui-même. Plein d’excitation, il parlait toujours, tantôt riant, tantôt fronçant les sourcils ; par moments, la haine résonnait dans sa