Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

voix, et quand Pélaguée entendait ces rudes accents, elle hochait craintivement la tête et demandait à mi-voix :

— Est-ce bien ainsi ?

— Oui ! reprenait-il d’une voix forte et ferme.

Et il lui parlait de ceux qui voulaient le bien du peuple, qui semaient la vérité et qui pour cela étaient traqués comme des fauves, envoyés en prison, exilés au bagne, par les ennemis de la vie…

— J’ai vu des gens de ce genre ! s’écria-t-il avec ardeur. Ce sont les meilleures âmes de la terre !

Ces êtres excitaient la terreur de la mère et elle avait envie de demander encore à son fils :

— Est-ce bien ainsi ?

Mais elle ne se décidait pas, elle écoutait célébrer ces gens qu’elle ne comprenait pas, et qui avaient appris à son fils une manière de penser et de parler si dangereuse pour lui.

— Il va bientôt faire jour… si tu te couchais… si tu dormais. Il faut aller au travail demain.

— Je vais me coucher, acquiesça-t-il.

Et, se penchant vers elle, il demanda :

— M’as-tu compris ?

— Oui ! soupira-t-elle.

De nouveau, les larmes jaillirent, de ses yeux, et elle ajouta en sanglotant :

— Tu périras !

Il se leva, se mit à aller et venir dans la chambre.

— Eh bien, tu sais maintenant ce que je fais, où je vais ! Je t’ai tout dit ! Je t’en supplie, mère, si tu m’aimes, ne me retiens pas !

— Mon chéri, s’écria-t-elle. Il aurait peut-être mieux valu ne rien me dire !

Il lui prit la main qu’il serra avec force entre les siennes.

Elle fut frappée par ce mot de « mère », prononcé avec une ardeur juvénile, et ce serrement de mains, nouveau et bizarre.

— Je ne ferai rien pour te contrarier, dit-elle d’une voix saccadée. Seulement, prends garde à toi, prends garde !…