Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de sa poitrine, pressés d’abandonner le corps décharné. Les reflets de la flamme dansaient sur son visage sans animer la peau morte. Seuls, ses yeux brûlaient d’un reflet bleuâtre et mourant.

— Peut-être aimerais-tu mieux aller dans la cabane, hein, Saveli ? demanda Jacob en se penchant sur lui.

— Pourquoi ? répondit celui-ci avec effort. Je veux rester là… je n’ai plus beaucoup de temps à vivre avec les hommes… plus bien longtemps.

Il promena son regard autour de lui, garda un instant le silence et reprit, avec un pâle sourire :

— Je me sens bien parmi vous ; je vous regarde et me dis que peut-être c’est vous qui vengerez tous ceux qu’on a maltraités… le peuple tout entier !…

Personne ne lui répondit ; il se mit bientôt à sommeiller, laissant retomber sa tête sur sa poitrine. Rybine le regarda longuement, et dit à voix basse :

— Il vient nous voir, il s’assied et raconte toujours la même chose…

— C’est ennuyeux de l’entendre se répéter ! dit Ignati à voix basse. Quand on n’aurait entendu cette histoire qu’une fois, on ne l’oublierait pas… et lui, il la rabâche sans cesse !

— C’est que, pour lui, elle contient tout, sa vie tout entière, comprends-le donc ! fit Rybine d’un air sombre… et aussi la vie d’une foule de gens. J’ai entendu son histoire des dizaines de fois et, pourtant, il arrive parfois que j’ai des doutes. Il y a des heures bonnes où on ne veut pas croire à la vilenie de l’homme, ni à sa folie, où on a pitié de tous, du riche comme du pauvre… car le riche aussi fait fausse route… L’un est aveuglé par la faim, l’autre par l’or… Et alors, on se dit : « Ah ! hommes, ah ! frères. Secouez-vous, réfléchissez loyalement, réfléchissez. »

Le malade se balança, ouvrit les yeux et se coucha sur le sol. Sans faire de bruit, Jacob se leva et alla chercher dans la cabane une petite pelisse qu’il jeta sur Saveli, puis il s’assit de nouveau à côté de Sophie.

Aux voix humaines se mêlaient le sourd crépitement du bois et le chuchotement des flammes ; et le feu, semblable à un visage rubicond, avait l’air de sourire avec malice aux sombres silhouettes qui l’entouraient.

Sophie se mit à parler de la lutte des peuples pour