Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/264

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crépuscule automnal, le silence et la solitude qui y régnaient la calmèrent du coup.

— Attendez ! je vais vous bander le visage, proposa-t-elle.

— Mais non, je n’ai pas honte de mes blessures !

La mère pansa rapidement les plaies ; la vue du sang frais et vermeil la remplissait de pitié ; quand ses doigts en sentirent la chaude moiteur, un frisson de terreur la secoua. Puis elle conduisit le blessé à travers champs, sans mot dire, en le tenant par le bras. Il dégagea sa bouche du bandeau et dit avec un sourire dans la voix :

— Pourquoi me traînez-vous, camarade ? Je puis bien marcher seul…

Mais la mère sentait qu’il chancelait, que ses pieds vacillaient. D’une voix faiblissante, il lui parlait, la questionnait sans attendre ses réponses :

— Je m’appelle Ivan, je suis ferblantier… et vous… qui êtes-vous ? Nous étions trois dans le cercle de Iégor… trois ferblantiers ; en tout, nous étions onze ! Nous l’aimions beaucoup…

Dans une rue, la mère prit un fiacre, y fit monter Ivan et chuchota :

— Taisez-vous, maintenant.

Pour plus de sûreté, elle lui replaça le bandeau sur la bouche. Il porta la main à son visage, mais ne parvint pas à libérer ses lèvres ; sa main retomba sans force sur ses genoux. Néanmoins, il continuait à murmurer au travers du mouchoir :

— Je n’oublierai pas ces coups, mes bons amis de la police !… Avant Iégor, c’est un étudiant qui s’occupait de nous… il nous apprenait l’économie politique… Il était très sévère… et ennuyeux… on l’a arrêté…

La mère entoura Ivan de son bras et appuya sur sa poitrine la tête du jeune homme. Soudain, il s’alourdit et se tut. Glacée par la peur, la mère lançait des regards craintifs de tous côtés ; il lui semblait qu’à chaque coin de rue, un agent de police allait apparaître, saisir Ivan et le tuer.

— Il a bu ? demanda le cocher avec un sourire en se tournant sur son siège.

— Oui, plus que de raison ! répondit la mère en soupirant.

— C’est ton fils ?