Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/309

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marcha à grands pas, les poings dans ses poches, puis murmura, les dents serrées :

— Ce doit être un homme remarquable… Quel héroïsme ! Il souffrira en prison, ceux qui lui ressemblent y sont très malheureux…

Puis, s’arrêtant en face de la mère, il ajouta d’une voix vibrante :

— Évidemment, tous ces commissaires, ces officiers, ne sont que des instruments, des gourdins dont se sert un coquin intelligent, un dresseur de bêtes ! Mais il faut tuer la bête pour la châtier de s’être laissé transformer en fauve ! Moi j’aurais tué ce chien enragé !

Il enfonçait toujours plus profondément ses poings dans ses poches, essayant, mais en vain, de réprimer une émotion qui se communiquait à la mère. Ses yeux s’étaient rétrécis, comme des lames de couteau. Il reprit, d’une voix froide et furieuse, en se mettant de nouveau à marcher :

— Voyez donc, l’horrible chose ! Une poignée d’hommes stupides frappent, étouffent et oppressent tout le monde pour défendre leur funeste puissance sur le peuple… La férocité augmente, la cruauté devient la loi de la vie… Réfléchissez ! Les uns frappent et agissent en brutes, parce qu’ils sont sûrs de l’impunité, parce qu’ils sont atteints du besoin voluptueux de torturer, de cette répugnante maladie des esclaves auxquels on permet de manifester leurs instincts serviles et leurs habitudes bestiales dans toute leur force. Les autres sont empoisonnés par la vengeance, les troisièmes, abêtis sous les coups, deviennent aveugles et muets… On pervertit le peuple, le peuple tout entier !

Il s’arrêta, se prit la tête des deux mains.

— On s’abrutit sans le vouloir dans cette vie féroce ! continua-t-il à voix basse.

Puis, il se maîtrisa. Ses yeux brillaient d’un éclat ferme ; il regarda presque familièrement la mère dont le visage était inondé de larmes.

— Nous n’avons pas de temps à perdre, Pélaguée… Où est votre valise ?…

— À la cuisine ! répondit-elle.

— La maison est entourée d’espions, nous ne pourrons pas sortir une telle masse de journaux sans qu’on le remarque… je ne sais pas où les cacher… je pense